CHAPITRE XVIII

— Je n’arrive toujours pas à croire que tu sois là, dit Leia.

Elle posa un patch transdermique sur une vilaine coupure, au-dessus du sourcil droit de son époux. Yan était assis devant la coiffeuse de l’élégante chambre d’hôtel. C3PO patientait. Olmahk et Basbakhan s’étaient postés à la porte.

— Où est ton ami Roa ?

— Bonne question, fit Yan, les dents serrées. Il a été aspiré par une sorte de fourmilier géant yuuzhan vong qui a fait un trou dans la Roue du Jubilé.

— Oh, non !

— Le pire, c’est qu’il est peut-être encore vivant, prisonnier à bord du vaisseau de guerre.

— Avez-vous réussi votre mission ?

— Non, dit Yan. L’ennemi nous a interrompus.

— Je suis désolée. (Leia détourna le regard.) Et maintenant ?

Yan se leva.

— Je me lançais à sa recherche, je suppose.

— Comment feras-tu ? s’exclama Leia, incrédule.

— Je l’ignore. Que voudrais-tu que je fasse ? Prétendre qu’il n’est rien arrivé ?

— Non, bien entendu…

Yan eut un geste impatient.

Leia croisa les bras.

— Tu imagines que j’ignore ce que c’est de perdre un ami ?

— Inutile que tu me rappelles les Aldéraaniens, ou Elegos A’Kla…

Les yeux de Leia lancèrent des éclairs.

— Tu es devenu fou ? Comment oses-tu parler ainsi ?

— Je ne suis pas d’excellente humeur…

Leia ricana.

— Et je ne voudrais pas être de ceux qui ont contrarié le célèbre Yan Solo !

Le Corellien se tourna vers le droïd de protocole.

— Une sacrée combattante dans sa catégorie, tu ne penses pas, C3PO ?

Le droïd le regarda, dérouté.

— Pardonnez-moi, maître Solo, mais…

— Tu reviens avec nous sur Coruscant ? coupa Leia, les poings sur les hanches.

— Non. Roa et moi avons été interrompus…

— Et tu n’as pas l’intention de me révéler de quoi il s’agit.

Il haussa les épaules.

— Qu’est-il arrivé au type qui préférait livrer un combat honnête que tourner autour du pot ?

— Que veux-tu dire ? grogna Yan, sourcils froncés.

— Tu as changé, constata Leia, déçue.

— Comment ça ? Je suis toujours le même ! A l’épreuve du temps, étanche, antirouille et tout ce que tu veux !

— Tu crois ça ? (Leia le fit pivoter face au miroir.) Regarde bien !

Yan resta silencieux un instant.

— Ce ne sont pas les années mais les parsecs…, dit-il enfin.

Leia soupira.

Yan ricana.

— Je parie que tu aurais préféré épouser un joueur de zoneball professionnel plutôt qu’un contrebandier !

Leia pinça les lèvres.

— Ça n’est pas le problème ! Mais vadrouiller ici est imprudent. Les Yuuzhan Vong ont peut-être un dossier sur toi. Qui sait s’ils n’ont pas déjà mis ta tête à prix !

— Je ne « vadrouille » pas, Leia.

— Alors, dis-moi à quoi tout ça rime !

Yan ouvrit la bouche… puis se ravisa.

— Te rejoindre était une erreur, marmonna-t-il. Je le savais.

Leia sursauta.

— Sais-tu ce que tu devrais faire, Yan ? Te mettre en orbite autour de Coruscant jusqu’à ce que tu aies réglé ton problème !

— Excellente idée !

Leia ne tenta pas de le retenir quand il ramassa son sac de voyage et sortit. Elle s’assit sur le lit, sonnée.

— Ça n’était pas dans mes plans…

— Vos plans, maîtresse ? demanda le droïd.

— C’est une façon de parler, C3PO…

C3PO parut se ratatiner. Leia sourit malgré elle.

— L’esprit humain n’est pas aussi rationnel que nous le prétendons, C3PO. Parfois, mieux vaut ne pas savoir ce que les autres pensent !

Yan posa une main sur son verre pour empêcher le barman à quatre bras de le remplir.

— L’alcool n’est pas la réponse, déclara-t-il.

Le Codru-Ji le regarda, intrigué.

— La question, c’est quoi ?

— Comment changer le passé.

— Simple ! En modifiant la façon dont on s’en souvient.

Le barman hocha la tête d’un air entendu.

— Un autre whisky, et vous serez en bonne voie !

Yan frotta son menton mal rasé.

— En bonne voie pour arriver nulle part !

Le barman haussa les épaules.

— A votre guise, mon gars.

Si le bar du casino était presque désert, les tables de jeu en revanche étaient prises d’assaut par ceux qui se réjouissaient d’avoir échappé à l’immolation… Sans le triste sort de Roa et de Fasgo, Yan aussi aurait été d’humeur à faire la fête…

Mais pourquoi diable s’en être pris à Leia ? Elle n’était pas plus responsable de la disparition de Roa et de Fasgo qu’Anakin de la mort de Chewie. Reck Desh lui-même n’y était peut-être pas pour grand-chose. Il fallait oublier Roa, la Brigade de la Paix, et rentrer à Coruscant. Il trouverait à s’occuper intelligemment…

Il paya sa boisson, laissant un pourboire généreux, et se dirigea vers la sortie. Le lieutenant aqualish de Bunji l’intercepta.

— Je vois que vous vous êtes tiré en un seul morceau, dit Yan, visiblement déçu.

— Ravi de vous voir moi aussi, Solo ! Boss B pensait qu’on vous trouverait ici.

— Dites à Bunji que je le remercie beaucoup de nous avoir laissé tomber.

— Il vous présente ses excuses. Dans la hâte du moment, il a oublié ses invités…

La lèvre supérieure de Yan frémit.

— Je transmettrai ses regrets à Roa et à Fasgo… A supposer qu’ils survivent à ce que les Yuuzhan Vong leur réservent.

— J’ai une information pour vous, Solo. Le Boss a appris que l’humain que vous cherchiez, Reck Desh, a monté une opération sur Bilbringi.

— Quelle sorte d’opération ?

— Nous l’ignorons. Mais toute la Brigade de la Paix est impliquée.

— Quand ?

— Très bientôt.

— Bilbringi…

— C’est tout ce que nous savons.

— D’accord. Dites à Bunji que je le remercie.

L’Aqualish le salua et partit. Yan retourna au comptoir pour réfléchir. Le Poignard était sans doute toujours sur la Roue, mais impossible de savoir dans quel état… L’autre solution consistait à dégoter un transporteur pour rallier Bilbringi et fouiner, histoire d’apprendre ce que Reck avait en tête. Leia lui arrangerait un passage à bord d’un vaisseau, mais il serait obligé de tout lui expliquer. Il n’était pas prêt à prendre ce risque. Pas encore.

C3PO, en revanche… Le droïd lui trouverait un vaisseau en partance pour Bilbringi !

Suite à la demande discrète de Yan, C3PO le rejoignit à l’entrée du spatioport d’Ord Mantell.

— J’apprécie un droïd ponctuel, l’accueillit Yan, souriant.

— Je dois vous avouer, maître Solo, que tout cela me met mal à l’aise. Surtout imiter la voix de maîtresse Leia pour arranger votre transport !

— Allons, C3PO ! Tu l’as déjà fait quand il s’agissait de tromper les sbires du grand amiral Thrawn.

— Ça ne me rassure pas beaucoup, monsieur. Il fallait protéger la princesse contre des assassins…

— Je ne te demande pas de mentir, C3PO. Seulement d’omettre d’en parler. Si Leia ne te pose pas de questions, il n’est pas utile de lui révéler où je suis parti.

— D’accord. Mais tant qu’elle ne sera pas directe, tu ne seras pas forcé de répondre.

— Et sinon ?

Yan réfléchit.

— Tu serais obligé de répondre ?

— Oui. Ça ne dépend plus de la logique.

— Exactement. Parfois, mieux vaut l’ignorance…

— Monsieur ?

— La vérité n’est pas toujours bonne à dire.

— Ces réflexions sont aussi troublantes que celles sur la cessation de l’être !

Yan leva un sourcil.

— La cessation de l’être ? Pourquoi un droïd réfléchirait-il à la mort ? Tu ne peux pas mourir !

— Pas de la même façon qu’un humain, monsieur. Mais si je suis désactivé, qu’adviendra-t-il de mes souvenirs, de ce que j’ai appris et vécu ?

— Quelqu’un a saboté ton motivateur ? Si c’est tout ce qui t’inquiète, il suffirait de télécharger ta mémoire dans une banque de données. (Les yeux de Yan s’étrécirent.) Je m’en occuperai, si tu acceptes de te taire.

C3PO inclina la tête.

— L’immortalité, C3PO !

— Mais, monsieur…

— Ce sera comme si tu avais un clone en réserve… Ton esprit habitera un corps différent, mais tu ignoreras que tu étais… parti…

— Je pourrais m’adapter à un nouveau corps, monsieur. Après tout, je suis plus un esprit qu’une enveloppe physique.

— C’est comme ça qu’il faut voir les choses, petit.

— Oui, monsieur. Mais au sujet du vaisseau en partance pour Bilbringi…

— Il y va ?

— Oui, mais…

— Du hangar 4061, à treize heures locales. Mais, monsieur, si vous me laissiez vous expliquer…

— Pas le temps, C3PO, dit Yan, consultant une horloge murale. Et merci pour tout ! Tu ne le regretteras pas !

C3PO leva les bras, agité.